En Afrique du Sud, les mineurs commémorent le «massacre de Marikana»

Des collègues des mineurs tués manifestaient ce vendredi à Marikana.
Des collègues des mineurs tués manifestaient ce vendredi à Marikana. 
(PHOTO STEPHANE DE SAKUTIN. AFP)
Un an après la fusillade meurtrière de la mine de platine de Marikana, au nord de l’Afrique du Sud, quelques 10.000 mineurs se sont rassemblés sur la bien mal-nommée «Colline des merveilles», afin de commémorer cette tragédie. Le 16 août 2012, la police sud-africaine, débordée par les mineurs grévistes demandant des augmentations de salaire, avait ouvert le feu sur la foule, faisant 34 morts et 78 blessés. Un évènement considéré comme le pire drame dans le pays depuis la fin du régime ségrégationniste de l’apartheid, en 1994.
Dès 11 heures, des groupes de travailleurs et les familles des victimes se sont dirigés vers le lieu de la fusillade, un terrain vague proche des installations minières, en entonnant des chants traditionnels. Les représentants des mineurs ont ensuite pris la parole durant la cérémonie, tout comme le dirigeant de la compagnie britannique Lomin, propriétaire de la mine de Marikana, qui s’est dit «désolé» de la mort de ses employés. «Autant de vies n’auraient pas dû être perdues [...]. Nous devons apprendre que cela n’aurait pas dû arriver et que cela ne doit plus jamais arriver», a déclaré Ben Magara, le PDG de Lomin, ajoutant que «tous les jours, nous ressentons les conséquences de cette tragédie». Une minute de silence a été observée à 16 heures, à l’heure précise où la police avait ouvert le feu, après la lecture solennelle des noms des victimes.

Jour de prière et de réflexion

Dans la matinée, Collins Chabane, président du comité inter-ministériel sur Marikana, avait appelé au calme pour ce jour de deuil national.«C’est l’occasion pour se regrouper en tant que nation et travailler ensemble afin que, un an après cette tragédie, la population de Marikana et de l’Afrique du Sud toute entière ne revive pas les événements de 2012, de quelque manière que ce soit», a-t-il ainsi déclaré, selon le site sud-africain News 24. Un avis partagé par le président Jacob Zuma, qui a appelé «tous les Sud-Africains à considérer le 16 août comme un jour de prière et de réflexion» dans un communiqué publié la veille.
«C’est un moment très douloureux. Il y a un an beaucoup de nos camarades sont morts et depuis nous n’avons pas vu de hausses de salaire. Nous avons l’impression que nos frères sont morts pour rien», confie Christopher Duma, un mineur de 45 ans, ajoutant que les violences sont toujours omniprésentes dans la région. Les rivalités syndicales autour de la mine de Marikana, qui ont mis le feu aux poudres en 2012, sont en effet loin d’être éteintes. Plusieurs militants ont été tués dans cette zone depuis un an, la dernière en date étant une responsable locale du grand syndicat NUM, abattue lundi devant son domicile. Signe de la persistance des tensions, le NUM, qui a perdu son statut de syndicat majoritaire au profit de sa rivale l’Amcu, a décidé de boycotter les commémorations.

«Certaines personnes profitent de cette tragédie»

Et il n’est pas le seul. Le gouvernement, très critiqué pour sa gestion du «massacre de Marikana» et l’absence de résultats de la commission d’enquête, a annoncé vendredi 16 août dans la matinée qu’aucun de ses membres n’assisterait à la commémoration. «Certaines personnes profitent de cette tragédie pour leur propre intérêt politique», a expliqué à Reuters Ishmael Mnisi, le porte-parole de l’African National Congress (ANC), le parti au pouvoir. Plus d’une douzaine de sièges, réservés aux membres de l’exécutif, sont donc restés vides durant la cérémonie.
Mercredi, un forum contre les crimes des mines s’est ouvert à Rustenburg, à l’initiative du gouvernement. La police, les dirigeants des mines et les syndicats se sont en effet entendus pour travailler au retour au calme dans ce secteur. Une nouvelle tentative de l’exécutif d’apaiser les mineurs, alors que les travaux de la commission d’enquête sur la fusillade de Marikana, qui n’a toujours pas interrogé les policiers directement impliqués dans les évènements, n’avancent pas
Il y a un an :
Mark Munroe de Lonmin (©Stéphane de Sakutin-AFP)
Tuerie de Marikana : nombreuses questions, (encore) peu de réponses

En utilisant les images de trois caméras, cette vidéo tente de comprendre ce qui s'est réellement passé quand la police a tiré à balles réelle sur les mineurs grévistes
Après avoir pleuré ses morts toute la semaine, l'Afrique du Sud va désormais poursuivre sa quête de réponses à la suite de la tuerie de Marikana. Jeudi dernier, le président Jacob Zuma a défini les contours et les objectifs de la commission d'enquête chargée de faire toute la lumière sur le drame.
Comme souvent, une lecture en noir et blanc de la tragédie doit être proscrite. Même si chaque acteur se rejette pour l'instant la faute, les responsabilités sont très largement partagées. Voici une liste de questions dont les réponses préciseront le rôle de chacun.
La police

Policiers à Marikana (©Reuters)
Les policiers ont-ils riposté (légitime défense) ? paniqué (manque de formation) ? délibérément tué (ordre de mission caché) ? Un peu de tout cela ? Est-ce le bruit d'un tir provenant d'un autre groupe de policiers présent sur le côté qui a déclenché la réaction meurtrière des policiers sur les grévistes ?
Pourquoi ont-ils tiré à balles réelles ? Depuis la fin de l'année dernière, cet usage semblait pourtant avoir été interdit pour ce type d'opérations de maintien de l'ordre. Qui a donné l'ordre ?
Que s'est-il passé après ce premier bain de sang filmé par les caméras (une dizaine de cadavres au sol) ? Pourquoi a-t-on continué à entendre au loin pendant presque une demi-heure des coups de feu retentissant dans différentes directions ?
Certains témoins évoquent un "second massacre" hors de la vue des journalistes présents sur place. Les premières autopsies révéleraient aussi des tirs dans le dos d'une partie des 34 mineurs grévistes morts. Tués lorsqu'ils essayaient de fuir les premiers tirs de la police ou assassinés froidement plus tard ?
Les policiers voulaient-ils se venger de la mort des deux collègues tués par des grévistes quelques jours avant le fameux jeudi 16 août ? Des photos de leurs corps atrocement mutilés auraient largement circulé sur les téléphones portables des forces de l'ordre.
Est-ce pour cela que des policiers auraient ensuite "torturé" dans les cellules des mineurs grévistes interpellés ? Pour retrouver coûte que coûte les leaders de la grève et les responsables de ces deux meurtres ?
Six armes à feu ont été retrouvées chez les 259 grévistes interpellés. Certains avocats mettent déjà en doute l'origine de ces armes. Ont-elles été placées par la police elle-même pour justifier la thèse d'une riposte face à des grévistes ayant tiré les premiers ?
Les grévistes

Mineurs grévistes à Marikana (©Siphiwe Sibeko-Reuters)
Que faisaient ces machettes, ces gourdins, ces barres de fers dans leurs mains ? Sur cette colline, les brandissaient-ils au nom de la tradition comme cela se fait dans la province d'origine d'une majorité des mineurs ? Ou ces armes révélaient-elles une volonté délibérée de tuer ? Une partie d'entre elles étaient, selon des témoins, flambantes neuves.
En avançant rapidement vers les policiers, les grévistes ont-ils voulu les attaquer ou fuyaient-ils les bouffées de gaz lacrymogène tout juste diffusé ? Ont-ils tiré les premiers ?
Un sangoma (ou muti) était-il présent sur la colline où s'étaient installés les grévistes ? Ce soigneur traditionnel a-t-il convaincu les mineurs qu'ils deviendraient "invincibles" face aux balles des policiers ? Qui l'aurait fait venir ?
Qui composait ce groupe de 3 000 mineurs grévistes ? Certaines sources indiquent la présence de mineurs qui avaient été licenciés l'an dernier par Lonmin, ainsi que des "éléments criminels".

Combien gagnent-ils réellement ? La plupart des grévistes annonçait aux journalistes un salaire de "400 euros", mais c'est beaucoup plus. Il y a aussi l'allocation logement, la prime de vacances, des bonus divers, les cotisations pour leur sécurité sociale et la retraite. Résultat : un coût de près de 1 000 euros pour l'employeur dont près de 750 euros arrive chaque mois dans la poche du mineur. Les grévistes exigent un salaire de 1 250 euros, "net" selon certains d'entre eux.
Des experts rappelaient aussi qu'un mineur en Afrique du Sud est relativement "bien payé"si on compare son salaire à ceux d'autres professions (construction, agriculture, etc). Autre rappel : 40% des Sud-Africains vivent avec moins de 40 euros par mois.
Mais est-ce tout de même suffisant au regard de leurs difficiles conditions de travail ? A noter aussi que plus du tiers des mineurs sont des intérimaires et ne bénéficient pas forcément de tous ces avantages.
Enfin, ces mineurs "préfèrent"-ils vivre au quotidien dans des cabanes en tôle pour envoyer un maximum d'argent chaque mois à leurs familles restées vivre près de la côte ?

Les syndicats

Joseph Mathunjwa, président d'Amcu (©BusinessDay)
AMCU, syndicat minoritaire mais à l'origine de la grève, a-t-il réellement essayé de négocier avec la compagnie Lonmin ou a-t-il délibérément joué la carte de l'affrontement pour accroître sa notoriété dans la ceinture de platine sud-africaine et dans le pays ?
A-t-il encouragé, voire ordonné, les meurtres de non-grévistes et de membres du syndicat, NUM ? Avant le jeudi 16 août, dix personnes avaient déjà été tuées.
NUM, le syndicat majoritaire mais déclinant dans la mine, a-t-il laissé pourrir la situation pour dénoncer l'irresponsabilité de ses adversaires syndicaux ?
Lors des précédentes négociations salariales avec Lonmin, a-t-il sacrifié ses adhérents les moins bien payés (les foreurs représentaient la plupart des grévistes) pour avantager ses adhérents en col blanc ? Y-a-t-il des ententes avec Lonmin ?
Comment NUM peut-il défendre ses adhérents en Afrique du Sud tout en investissant dans des projets, main dans la main avec des compagnies minières ?

La compagnie minière

Mark Munroe de Lonmin (©Stéphane de Sakutin-AFP)
Mark Munroe, vice-président de Lonmin
Pourquoi, avant la tuerie, Lonmin n'a-t-il jamais accepté d'ouvrir des discussions avec les mineurs grévistes ? Officiellement, le syndicat AMCU ne peut pas être reconnu par la compagnie, mais n'aurait-il pas fallu entamer un dialogue informel pour tenter de débloquer la situation avant qu'elle devienne incontrôlable ?
A-t-elle préféré jouer un syndicat contre l'autre afin d'affaiblir NUM, le syndicat majoritaire au sein de la compagnie minière ?
Que fait réellement Lonmin pour participer au développement des communautés qui vivent à proximité de la mine ? Une étude récente l'accusait d'exploitation et d'affichage en matière de projets liés à sa responsabilité sociale d'entreprise.

Le gouvernement

Jacob Zuma à l'hôpital de Marikana (©BusinessDay)
Le président Jacob Zuma avec un mineur blessé à l'hôpital de Marikana

Avant la tuerie, le président Jacob Zuma avait-t-il donné l'ordre aux policiers de faire"tout ce qui était possible" pour mettre fin à cette grève ? Pourquoi le gouvernement ne s'est-il pas impliqué dans la résolution du conflit avant que le drame ait lieu ?
L'ANC a-t-il préféré soutenir son allié stratégique, NUM, sur le dos des salariés grévistes ? Lonmin a-t-il déjà versé de l'argent pour les campagnes électorales de l'ANC ? Lonmin a-t-il fait pression sur le gouvernement pour que la police intervienne rapidement et que sa production puisse reprendre ?
Quel rôle a joué Cyril Ramaphosa, autrefois à la tête de NUM, haute personnalité de l'ANC, aujourd'hui riche businessman et membre du conseil d'administration de la compagnie ?
En appelant les grévistes de Lonmin à de nouvelles batailles où il faudra peut-être"mourir", Julius Malema, exclu en début d'année de l'ANC, n'alimente-il pas les risques d'une propagation de la violence ?
L'absence de la police et de services publics dans les bidonvilles qui ont surgi auprès des mines de la région n'a-t-il pas créé les conditions d'une révolte violente "contre l'injustice et les inégalités" ?
Que vont faire les autorités pour éviter que ce drame ne se reproduise ?
Crédits : Reuters / Siphiwe Sibeko-Reuters / Business Day / Stéphane de Sakutin-AFP / Business Day

Nota du Blogueur : Un de mes collègues de travail était en Afrique du Sud pendant ces événements dans le cadre d'un partenariat auprès des Forces de Police Sud-Africaine et il nous a certifié que nombreux étaient les grévistes qui attaquaient dans un état de démences à cause des drogues, les policiers. Selon les policiers, les agresseurs voulaient tuer, et n'avaient pas peur de recevoir des balles car ils avaient été rendus invincibles grâce à la puissante magie du Muti.
On est ici très loin du politiquement correct de nos médias français....une fois de plus !

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