L'«incinérateur» de déchets nucléaires fait ses débuts

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Il ne s'agit pas de brûler les résidus radioactifs mais de les transformer en éléments stables dans un nouveau type de réacteur. Le prototype Guinevere est entré en fonctionnement.

«Une première mondiale.» C'est en ces termes que le CNRS a présenté jeudi les premiers pas de Guinevere, un réacteur expérimental franco-belge capable, théoriquement, de transformer les déchets radioactifs les plus dangereux afin de réduire leur nocivité et leur durée de vie. Ce prototype n'est encore qu'une maquette, d'un coût total de 10 millions d'euros, mais il préfigure Myrrha, un pilote préindustriel à un milliard d'euros, qui pourrait être opérationnel en 2023.

Quel en est le principe ?

Un élément est radioactif quand les noyaux des atomes qui le composent sont instables et peuvent se scinder en deux spontanément en émettant des radiations. Les deux atomes qui résultent de cette fission sont, le plus souvent*, beaucoup moins radioactifs et ont une durée de vie plus courte. L'idée générale est donc de forcer la désintégration des éléments radioactifs les plus dangereux: c'est ce qu'on appelle la transmutation.

Comment provoquer ces fissions ?

Le principe est le même que pour un réacteur nucléaire classique. Il faut faire en sorte que les noyaux atomiques, composés de protons et de neutrons, captent des neutrons supplémentaires. Cela augmente leur instabilité et provoque leur fission.

Pourquoi ne pas utiliser un réacteur nucléaire classique ?

Parce qu'il fonctionne avec des neutrons lents adaptés à la fission des atomes d'uranium. Or les déchets les plus problématiques sont les actinides mineurs (neptunium, americium et curium), des éléments devenus plus lourds que l'uranium après avoir capté des neutrons lents sans pour autant se désintégrer. Pour provoquer leur fission, il faut les bombarder avec des neutrons rapides, plus efficaces**.

Existe-t-il déjà des réacteurs à neutrons rapides ?

Depuis l'abandon des projets Phénix et Superphénix, il n'y a plus de réacteur à neutrons rapides en France. Il n'aurait de toute façon pas été possible de les utiliser pour faire de la transmutation d'actinides à grande échelle car ils fonctionnaient en régime dit «critique». Cela veut dire que les neutrons émis lors de la désintégration des atomes du combustible provoquaient suffisamment de nouvelles fissions pour que la réaction s'auto-entretienne, et suffisamment peu pour qu'elle ne s'emballe pas. Pour des raisons assez complexes, le pilotage de ce type de réacteur n'est possible qu'avec un combustible qui, comme l'uranium, émet des neutrons «retardés». Mais ce n'est pas le cas des actinides mineurs. Pour les mêmes raisons, les réacteurs de 4e génération, qui ne feront pas leur apparition avant 2050 et fonctionneront avec des neutrons rapides, ne permettront toujours pas d'effectuer la transmutation de ces déchets très dangereux.

Comment fonctionne Guinevere ?

Construit à Mol en Belgique dans le cadre d'une coopération entre le Centre d'étude de l'énergie nucléaire (SCK.CEN) belge, plusieurs laboratoires du CNRS et le CEA (Commissariat à l'énergie atomique), ce réacteur est constitué d'un accélérateur de particules d'un mètre de long qui génère des neutrons rapides. Le prix Nobel de physique Carlo Rubbia avait proposé un projet similaire dans les années 90 mais il est finalement resté dans les cartons. Les explications détaillées du fonctionnement de la «maquette» Guinevere permettent de se faire une idée plus précise du procédé employé:

Contrairement à un réacteur classique, il est possible d'arrêter la réaction presque instantanément en coupant l'accélérateur. Cela permet de contourner le problème de gestion d'un cœur alimenté en actinides.

Pourra-t-on «brûler» les déchets déjà stockés ?

Les déchets vitrifiés ne pourront par être utilisés dans ces nouveaux réacteurs, le traitement qui leur ont été appliqué étant irréversible. D'autre part, le combustible usagé devra être traité avec beaucoup de minutie pour séparer les actinides mineurs du plutonium et de l'uranium. Les produits de fissions devront également être mis à part. La transmutation n'est efficace que si l'on s'assure de ne pas produire trop de déchets parasites à partir d'éléments indésirables pendant l'opération.

Fera-t-on de l'électricité avec les «incinérateurs» ?

Leur vocation n'est pas de produire du courant, estime Annick Billebaud de l'Institut de physique des particules (IN2P3) du CNRS, mais bien de contribuer à réduire le volume et la durée de vie des déchets les plus radioactifs.
* Quelques rares produits de fission «légers» restent très actifs ou ont une longue durée de vie. Il est souvent possible de les stabiliser en leur faisant capter un neutron.
** L'actinide le plus célèbre, le plutonium, peut lui être recyclé en partie dans les réacteurs à neutrons lents sous forme de MOX, un mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium.

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