Attaque de la base aérienne syrienne Al-Chaayrate: une erreur stratégique de l'armée américaine

Origine de l'article Russie Politic



Dans la nuit de jeudi à vendredi, D. Trump a donné l'ordre de bombarder la base militaire aérienne de Al-Chaayrate en Syrie, non loin de Homs. En réponse à la prétendue attaque chimique menée par l'armée syrienne régulière mardi dans la province de Idlib, alors qu'une enquête indépendante n'a pas encore été menée. La destruction de la base aérienne permet de redonner l'avantage à Daesh dans la région et met sérieusement en danger les relations russo-américaines. Sur tous les plans, cette attaque d'un pays souverain est, au minimum, une erreur stratégique.


Chacun se demandait comment réagirait le nouveau Président américain face à une crise internationale, la réponse est navrante, mais dans la tradition de ses prédecesseurs: tout en muscle et sans esprit, avec une vue à court terme des relations internationales. Ainsi, D. Trump a déclaré avant le bombardement:
«Ce soir, j’ai ordonné une frappe militaire ciblée sur une base aérienne en Syrie, d’où a été menée l’attaque chimique» de mardi, a déclaré le président américain de sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, au cours d’une brève allocution télévisée. «Il est incontestable que la Syrie a utilisé des armes chimiques interdites, a violé ses obligations en vertu de la convention sur les armes chimiques et ignoré les appels du Conseil de sécurité de l’ONU», a-t-il ajouté. «Il est dans l’intérêt vital pour la sécurité nationale des Etats-Unis de prévenir et dissuader la propagation et l’usage d’armes chimiques mortelles», a-t-il déclaré, soulignant que «des années de tentatives de faire changer (le président syrien Bachar el-Assad) ont échoué dramatiquement».

Dans la nuit de jeudi à vendredi, l'armée américaine a attaqué la base aérienne de Al-Chaayrate, située non loin de Homs:

La base de al-Chaayrate, dans la province centrale de Homs, a frappée vers 00h40 GMT par 59 missiles Tomahawk tirés par les navires américains USS Porter et USS Ross, qui se trouvaient en Méditerranée orientale.
Selon le Pentagone, les services de renseignement américains ont établi que les avions qui ont mené l'attaque chimique contre la localité de Khan Cheikhoun étaient partis de cette base.
La base était connue comme un lieu de stockage d'armes chimiques avant 2013 et le démantèlement de l'arsenal chimique syrien, a indiqué le capitaine de vaisseau Jeff Davis, un porte-parole du Pentagone.


Sur ce point, rappelons que la Syrie a détruit l'ensemble de son arsenal chimique, ce qui a été constaté par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques en janvier 2016. D. Trump poursuit donc la politique de ses prédécesseurs soutenant les forces terroristes, en fermant les yeux sur les atrocités qu'ils peuvent commettre. Assad est à nouveau l'ennemi numéro Un et non Daesh.

La réaction du Pentagone à ce sujet est assez inquiétante, vue la joie infantile qui s'est emparée de son porte-parole J. Kirby déclarant qu'il y avait des avions russes et des militaires russes sur cette base:
"Je pense qu'il va être très important de voir comment ils (les russes) vont réagir, autant dans les paroles que dans les actes. Il sera également intéressant de savoir combien il y a eu de discussions avec les russes sur le canal de la prévention des incidents aériens. Il est évident que sur cette base il y avait des militaires russes et, autant que je le sache, l'aviation russe y était basée. Il sera intéressant de voir si l'aviation russe a été touchée"
Cette déclaration laisse à penser que la frappe a été orientée tout autant contre la Syrie que contre la Russie, punie pour son soutien à Assad, et plus largement pour son indépendance en matière de politique internationale. Ce qui s'appelle justement la souveraineté et qui ne semble plus être acceptable en dehors du monde anglo-saxon aujourd'hui.

La Russie n'a pas confirmé la présence de son armée sur cette base. Ce qui est certain, ce sont les pertes subies par l'armée régulière syrienne, les civls dans les villages environnants et les avions touchés et donc sa capacité de réaction, puisque cette base était utilisée pour lutter contre Daesh.

Les deux premières conséquences de cette attaque laissent songeur.

Tout d'abord, l'on remarquera que, certainement suite à un étrange concours de circonstances, Daesh en a profité pour attaquer la route Homs-Palmyre exactement au moment où l'aviation américaine bombardait en toute impunité les premières forces agissant contre les groupes terroristes, c'est-à-dire, l'armée régulières syrienne, libérant les mains des terroristes. 

Pour autant, cette tragédie n'est pas une première, l'on se souviendra des bombardements de Deir Ezzor par l'armée américaine qui ont fait une centaine de morts et autant de blessés parmi les militaires syriens en septembre 2016, libérant les mains des terroristes qui en ont profité pour lancer une offensive qu'ils ne pouvaient mener à bien avant cela. La différence est que, alors, les Etats Unis avaient tout d'abord démenti puis avaient reconnu qu'il s'agissait d'une erreur. Ici, la frappe et ainsi l'aide apportée aux terroristes est revendiquée ... au nom de la lutte contre le terrorisme.

La deuxième conséquences, et non la moindre, est la vague de froid polaire qui s'abat sur les relations russo-américaine, une semaine avant la visite du Secrétaire d'Etat américain à Moscou. Les analystes français ont tort d'imaginer que, de cette manière, les Etats Unis vont forcer la Russie à se rapprocher d'eux et à abandonner Assad. Trump serait un allié, selon eux, beaucoup plus important qu'Assad pour le Président russe. Trump ne sera jamais un allié de la Russie, mais il peut (aurait pu) être un partenaire. 

La réaction de la Russie dément cette analyse superficielle et classique en Europe. V. Poutine a déclaré que cette attaque constituait une atteinte à la souveraineté de la Syrie et une violation du droit international. Sans compter que les bombardements portaient un coup très fort aux relations russo-américaines, déjà en mauvais état. Le Conseil de sécurité de l'ONU est convoqué pour une réunion d'urgence. Immédiatement, le ministère des affaires étrangères suspend son accord avec les Etats Unis quant à la prévention des incidents aériens et la sécurité des vols lors des opérations en Syrie. Mais la diplomatie russe va plus loin et déclare que les Etats Unis se sont donnés les moyens, par l'attaque chimique d'Idlib, de justifier une attaque contre l'armée syrienne, bloquant ainsi son avancée.

La Russie ne peut pas rejoindre les Etats Unis dans ce combat, car ce serait interprété comme un renoncement et un aveu de faiblesse qui dépasserait le cadre du conflit syrien. Ce que laisse sous-entendre la réaction du porte-parole du Pentagone, lorsqu'il dit ouvertement que les Etats Unis attendent de voir comment la Russie va réagir, et pas seulement en parole.

Sans oublier que cette impunité de fait donnée aux terroristes peut les inciter à utiliser les armes chimiques contre la population, puisque de toute manière le régime sera immédiatement déclaré responsable par la communauté internationale qui, en plus, fera elle-même le travail en détruisant l'armée régulière syrienne.

C'est pourquoi ce bombardement par l'armée américaine de la base syrienne est une double erreur stratégique, si l'on part du principe que les Etats Unis combattent le terrorisme, comme cela est déclaré. Tout d'abord, parce qu'en fragilisant l'armée syrienne, les Etats Unis déplacent le rapport de force sur le terrain en faveur des terroristes. Ensuite, parce qu'en "punissant" ouvertement la Russie, ils bloquent toute possibilité d'alliance dans la lutte contre le terrorisme. Or, sans la Russie, la coalition américaine en pourra résoudre le problème.

S'il ne s'agit pas, en revanche, d'une lutte contre le terrorisme, la communauté internationale doit en tirer les conclusions qui s'imposent. Ce qu'elle ne fera pas, car cette "communauté internationale" est de facto inexistante aujourd'hui, depuis la fin des Etats souverains.

C'est une provocation très forte de la part des Etats Unis et du clan de la guerre. Il est à espèrer que le Président russe trouvera une réponse asymétrique permettant de déplacer le conflit sur un autre plan.

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